Macha Fogel: Quelques heures cruciales dans le dojo du président de la Grande Russie

C’est une chose terrible que d’aimer tant la guerre sans jamais l’avoir faite.
J’ai servi mon pays autrement. Je me suis acquitté de mon devoir sans armes, c’est vrai, mais non sans combattre. J’aurais pu devenir une simple petite frappe, passer des années en prison, ou encore m’enrichir comme un vulgaire escroc. Mais il se trouve que tout s’est passé autrement. Je me suis apprivoisé. En définitive, j’ai appris à faire ce que j’avais à faire. Cette préférence pour l’action je l’ai acquise à mes premiers maitres de judo. De consciencieux pédagogues ont su m’attraper juste à temps. à cet âge où le destin offre à nos personnalités déjà bien formées le choix entre plusieurs voies sur lesquelles s’engager.

J’enfile mon kimono, guettant de l’œil la porte du vestiaire. J’attends un document très important, le premier d’une série que j’ai commandé à l’un de mes collaborateurs les plus loyaux, mon vieil ami Volkov, que je surnomme « le louveteau » . Un agent spécialement choisi pour cette tâche va me l’apporter. Je suis préoccupé: il s’agit après tout d’organiser le futur du pays et de sceller mon propre destin.

C’est ainsi que commence le premier roman de Macha Fogel Quelques heures cruciales dans le dojo du président de la Grande Russie à peine sorti il y a quelques semaines. Cela promet d’être intéressant, que se passe-t-il dans sa tête lorsqu’il monte sur un tatami? et qu’il prépare sa propre succession comme un empereur romain, ou comme le premier russe à porter le titre d’Imperator, Pierre le Grand? (bon, Pierre Ier est surement un très mauvais exemple, sa mort est plutôt stupide et prosaïque). Car le Président de la Grande Russie imaginé par Macha Fogel veut avant tout quitter la scène et la vie tout en poésie comme un vrai empereur romain.

« Je dois rester encore longtemps au pouvoir. Pierre le Grand a eu besoin de plusieurs dizaines d’années pour hisser le pays à hauteur de l’occident et pour emporter contre ces nations des succès décisifs. Mais moi, qui suis-je? Pierre le Grand ou bien Ivan le terrible? des années redoutables ont suivi la mort du tsar Ivan. Il faut à tout prix éviter de nouveaux temps troubles. Mais enfin qui me succédera? Ma fille cadette, Ioulia? l’Aînée Anya? Après avoir étudié les mœurs néerlandaises, telle Pierre en son temps reviendra-t-elle sauver la patrie? Ma concubine, la petite Véra elle est trop peu armée. N’importe quoi! alors qui? L’un de nos riches marchands? ou bien un boyard des services secrets?

Ah oui, il faut le dire tous les noms sont changés. C’est peut être l’éditeur qui a peur de recevoir des menaces et qui a changé tous les noms des personnages provoquant un véritable ridicule. Il faut dire que lorsque l’on parle de Judo, Sambo et de Léningrad, l’omerta est croit-on la meilleure garantie pour rester vivant. Toute ressemblance avec un personnage existant est donc écartée, il y eu tellement de présidents différents en Russie qui font du judo et qui rêvent de Grande Russie qu’il est impossible de deviner de qui il s’agit…  Le successeur auquel pense le personnage, s’appelle Trofimov comme le chanteur… Et il va s’associer avec Alexandre Dinikine un salaud au regard de psychopathe qui tente plus ou moins depuis six ans d’unifier l’opposition…

On l’aura compris il s’agit d’un regard flou, parisien, complaisant et romantique sur la Russie contemporaine. La Russie et la figure du président russe attire les écrivains français. On pourrait citer Marc Dugain avec Une exécution ordinaire ou encore Bernard Chambaz avec Vladimir Vladimirovitch. La difficulté de l’exercice que s’est donnée Macha Fogel s’est d’entrer dans la tête de Vladimir Poutine, d’écrire son monologue intérieur. C’est une tâche vouée à l’échec ou au mensonge lorsque l’on est une femme, jeune, française, n’ayant jamais connu l’union soviétique… et que les lecteurs sont tout aussi éloignés du monde soviétique. Et même peut être plus,, encore car après tout, l’auteur a vécu à Moscou et travaillé pour la chaine « la voix de la Russie ». La tâche est donc impossible. Mais le propre de la littérature de fiction et de « l’écriture de soi » imaginée est de faire des œuvres fausses mais cohérentes qui apportent quelque chose d’humain au lecteur. Si l’on prend par exemple le livre de Marguerite Yourcenar Mémoires d’Hadrien, suivi de Carnets de notes de Mémoires d’Hadrien, il n’y a pas le moindre doute qu’il s’agit de la grande littérature même si le personnage d’Hadrien est certainement éloigné du personnage historique. Aurait il vraiment écrit de telles lettres s’il en avait eu l’occasion? Non, probablement pas tout à fait, car le style et la pensée est traduit par une femme du XXième siècle pour un lecteur du XXième siècle. Et de toute façon on ne pourra pas aller vérifier.
Le problème que pose le livre sur le président de la Grande Russie, c’est que le personnage est vivant, très influent, très riche. Et il ne s’agit pas de lettre, le personnage se parle à lui même, c’est d’ailleurs dommage étant donné le potentiel de charme et de manipulation dont dispose le président russe. Utiliser un monologue intérieur aussi ennuyeux et  révulsant que les celui  des Carnets du sous-sol, alors qu’un simple regard d’un tiers aurait pu apporter du charme et de la magie au roman.

Finalement c’est pour moi une déception. Je ne sais pas ce qui a motivé Macha Fogel pour écrire ce livre sur ce thème et dans ce style et je ne saurai donc dire s’il est très réussi ou si au contraire c’est un désastre, je ne vois pas pour ce livre d’entre-deux. La réalité est tellement plus profonde et palpitante que cette fiction. Alors pourquoi? est plus romantique, plus poétique, plus parisien? Pourquoi?

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