Les mémoires d’Alexandre Vertinski ont été publiées en français aux éditions de la muse du docteur Guillotin. En langue originale elles sont disponibles depuis la fin de l’URSS et depuis que l’internet et les que liseuses électroniques sont là on les trouve très facilement et gratuitement, là par exemple. Mais en français il a fallu attendre le mois d’octobre, et pourtant ce chanteur avait une gloire qui dépassait la simple Russie. Il a vécu à Paris, il a chanté sur toute la planète, là où il y avait des émigrés russes puis est revenu en 1943 en Union Soviétique.
La question qu’on se pose inévitablement avant même d’avoir ouvert le livre, c’est pourquoi avoir traduit le titre ainsi? « Par une longue route » devient « le nègre violet », certes Лиловый негр, le nègre lilas, est une chanson assez remarquable aussi, et du lilas au violet le pas est vite franchi, mais pourquoi ce choix éditorial? Ça laisse une impression désagréable, cela ressemble à du racolage pour essayer de se démarquer au milieu de la profusion des parutions (le livre est sorti au moment de la rentrée littéraire). Nous sommes quand même à une époque où l’expression « nègre littéraire » est proscrite et à remplacer par « porte plume », alors nègre violet, c’est de la provoc’. Ou peut être y a t il une autre raison qui m’échappe.
Enfin si ce petit truc permet de vendre du papier, pourquoi pas? Car c’est vrai le papier est plutôt bon, la couverture est rigide et les pages épaisses c’est agréable de tenir en main un vrai livre ( avouons que le logo et le nom de l’éditeur soulèvent le cœur du lecteur quand bien même il n’est pas Lev Mychkine mais le papier est bon).
La biographie d’Alexandre Vertinski est en soi intéressante, orphelin né à Kiev en 1889, il a une jeunesse mouvementée avant de partir à Moscou à 24 ans. Là il a rapidement du succès, ses chansons, ses spectacles marchent très bien, le public est au rendez-vous. Mais avec la révolution il doit prendre la route de l’exode: Turquie, Roumanie, Pologne,
Allemagne, France, États-Unis, Chine avant de finalement revenir à Moscou. Il tourne beaucoup en URSS au milieu des soldats et des ouvriers se produit même sous terre pour les mineurs, il tourne aussi au cinéma. Il obtient la reconnaissance avec le prix Staline et un appartement sur l’avenue Gorki, mais sa vie d’avant, ses amis de l’ouest lui manque si bien qu’il poursuit jusqu’en 1957 l’écriture de ses mémoires qu’il avait commencé quinze ans auparavant.
Le style est vivant, avec des passages étonnants mais il faut garder à l’esprit que le livre est écrit en Union Soviétique c’est à dire dans une atmosphère de nostalgie où l’inévitable mépris pour la dépravations des mœurs occidentales est mêlé de fascination. Il ne comprend pas rétrospectivement comment il a pu quitter la terre russe. « Mais que s’est il passé alors? qu’est ce qui a bien pu me contraindre à partir? Pourquoi me suis-je arraché à cette terre pour laquelle je donnerais aujourd’hui ma vie avec joie et légèreté, s’il le fallait? A l’évidence, c’était une bêtise. Peut être était ce la soif de l’aventure, du voyage, de la nouveauté et de l’inconnu? Je l’ignore. »
Il cite les titres de journaux français qui lui sont restés en mémoire « Violette Nozère a empoisonné son père pour toucher la prime d’assurance » ou encore » la tueuse de dix sept ans entretenait son amant! » « on y trouvait la description du meurtre, les interrogatoires, les témoins ». Dans le même temps il indique qu’on « trouvait les journaux soviétiques Pravda ou Ivezstia. Les caractères étaient petits, serrés, austères. On y trouvait des résolutions, des rapports, des décrets… C’était très ennuyeux. Aucun scandale, le peuple construisait, s’échinait, le travail battait son plein. On écrivait seulement ce qui était important, sérieux, nécessaire. Tandis que la presse parisienne c’était sensation sur sensation. (…) « Putréfaction », « occident dépravé » écrivaient les journaux soviétiques. Cela nous faisait rire. Nous nous moquions candidement de ces visions soviétiques retardées. « Ils mangent de la vache enragée et ils veulent encore nous donner des leçons »… « ha ha ha! c’est nous les dépravés! que dites vous de cela? » Nous étions des Européens des Parisiens, le sel de la terre! »
On remercia l’éditeur pour avoir inséré des reproductions de photographies hors texte en milieu de livre, c’est toujours très agréable à feuilleter. Mais bien sûr il manque la musique et les paroles des chansons. Enfin pour cela on peut se tourner vers youtube.
L’Ours Magazine dans sa recension postait deux chansons: le nègre lilas et tango magnolia. Il est temps de réparer l’injustice et montrer la chanson par une longue route. Il s’agit à la base d’une vieille romance Tsigane arrangée par Boris Fomin sur laquelle des vers de Konstantin Podrevsky. C’est entre 1917 et 1924 qu’elle fut créée puis enregistrée sur disque en 1926.
Elle est ici d’abord interprétée par Anna Prucnal puis l’original.
Ездили на тройках с бубенцами, А вдали мелькали огоньки… Мне б сейчас, соколики, за вами, Душу б мне развеять от тоски. |
On roule avec une Troïka avec des grelots, Et au loin des lumières scintillaient … J’aimerai maintenant, petits faucons, derrière vous, Dissiper le chagrin de mon âme . |
Припев:
Дорогой длинною |
Refrain:
Par une longue route |
Так, живя без радости, без муки, Помню я ушедшие года И твои серебряные руки В тройке, улетевшей навсегда. |
Ainsi, vivre sans joie, sans tourment, Je me souviens de l’année qui s’en va Et de tes mains d’argent Dans la troïka, s’envolant à jamais. |
Припев,
Дни идут, печали умножая, |
Refrain
Les jours passent, augmentant le chagrin, |
Припев.
Стихи К. Подревского в обработке А. Вертинского |
Refrain.
Vers de K. Podrevsky retravaillés par A. Vertinsky |
Après on peut écouter les autres adaptations de cette chanson universelle interprétées par d’immenses artistes comme Mary Hopkin, Dalida. Il est intéressant de remarquer qu’il existe une deuxième version russe, adaptée de la version anglaise.