Nous autres de Evgeny Zamyatine est un court roman de science fiction, d’anti-utopie totalitariste écrit par un ingénieur russe en 1919-1920 et qui a eu une résonance particulière au XX siècle, ne serait-ce que parce qu’il a inspiré des auteurs tels que Aldous Huxley, Ayn Rand, George Orwell…
On peut d’ailleurs lire la critique qu’en a fait Georges Orwell en 1946 (le roman 1984 sera publié en juin 1949 rappelons-le). Il est intéressant de noter que le livre était alors publié en Anglais aux USA (1924 par Gregory Zilboorg), en français à Paris (1929) et en tchèque à Prague (1927). Orwell n’a pas pu trouver de version anglaise et le déplore. Il a donc lu le livre en Français. Il note que vraisemblablement Aldous Huxley s’en est inspiré pour Brave New World (1932) (le meilleur des mondes en français).
Il existe plusieurs traductions de ce texte en anglais (1924; WE traduit par Gregory Zilboorg, et nouvelle traduction de WE en 1993 par Clarence Brown et enfin d’une traduction toute récente de 2007 par Natasha Randall We: Introduction by Will Self).
Malheureusement en français il n’existe qu’une seule traduction publiée qui est assez éloignée du texte original, tout simplement parce qu’elle n’est pas traduite du russe mais de sa traduction anglaise. Il s’agit de celle de Benjamin Cauvet-Duhamel (1929) publiée chez Gallimard dans la collection l’imaginaire : Nous autres, mais trouvable un peu partout étant donné qu’elle se trouve dans le domaine public. Il existe par ailleurs une traduction contemporaine d’une des meilleures traductrices françaises, malheureusement les éditeurs se montrent frileux à la publier. Dommage!
Gallimard prétend que Benjamin Cauvet-Duhamel a traduit du russe. Il suffit pourtant d’étudier un extrait pour se rendre compte qu’il s’agit d’une tromperie. Le traducteur à retranscrit en français la version de Gregory Zilboorg publiée en 1924 qui comporte de nombreuses modifications. Sur l’extrait suivant de la note numéro 22 on se rend bien compte des problèmes que posent la traduction d’une traduction…
Мы идем — одно миллионноголовое тело, и в каждом из нас — та смиренная радость, какою, вероятно, живут молекулы, атомы, фагоциты. В древнем мире — это понимали христиане, единственные наши (хотя и очень несовершенные) предшественники: смирение — добродетель, а гордыня — порок, и что « МЫ » — от Бога, а « Я » — от диавола. | We walked again-a million-headed body; and in each one of us resided that humble joyfulness with which in all probability molecules, atoms, and phagocytes live. In the ancient days the Christians understood this feeling; they are our only, though very imperfect, direct forerunners. The greatness of the « Church of the United Flock » was known to them. They knew that resignation is virtue, and pride a vice; that « We » is from « God, » « I, » from the devil. |
Notre corps aux mille têtes reprit sa marche et en chacun de nous régnait cette joie mesurée que connaissent sans doute les molécules, les atomes et les phagocytes. C’est ce qu’avaient autrefois compris les Chrétiens, nos uniques prédécesseurs, quoique bien imparfaits. Ils connaissaient la grandeur de l’église « du seul troupeau » et, s’ils savaient que l’humilité est une qualité et l’orgueil un vice, nous savons que « Nous » vient de Dieu et « moi » du diable. |
Вот я — сейчас в ногу со всеми — и все-таки отдельно от всех. Я еще весь дрожу от пережитых волнений, как мост, по которому только что прогрохотал древний железный поезд. Я чувствую себя. Но ведь чувствуют себя, сознают свою индивидуальность — только засоренный глаз, нарывающий палец, больной зуб: здоровый глаз, палец, зуб — их будто и нет. Разве не ясно, что личное сознание — это только болезнь? | I was walking, keeping step with the others yet sep.. arated from them. I was still trembling from the emotion just felt, like a bridge over which a thundering ancient steel train has passed a moment before. I felt myself. To feel one’s self, to be conscious of one’s personality, is the lot of an eye inflamed by a cinder, or an infected finger, or a bad tooth. A healthy eye, or finger, or tooth is not felt; it is nonexistent, as it were. Is it not clear, then, that consciousness of oneself is a sickness? . | Je marchais au pas avec les autres, mais, malgré tout, à part des autres. Je tremblais encore de ma dernière émotion comme un pont sur lequel vient de passer, en tonnant, un ancien train en fer. J’avais conscience de moi. Or, seuls ont conscience d’eux-mêmes, seuls reconnaissent leur individualité, l’œil dans lequel vient de tomber une poussière, le doigt écorché, la dent malade. L’œil, le doigt et la dent n’existent pas lorsqu’ils sont sains. N’est-il pas clair, dans ce cas, que la conscience personnelle est une maladie ? |
Et la traduction d’HELENE HENRY de 2017 ? Que vaut-elle
Merci de votre commentaire. Mon article date de 2016 et justement je me lamentais qu’aucun éditeur ne voulait de la traduction d’HELENE HENRY. Finalement Actes Sud l’a publié l’année suivante. C’est une bonne traduction. Proche de l’original et qui sonne bien pour le théâtre et récente puisqu’elle n’a que quelques années.