Cet article participe à l’événement inter-blogueurs « Bloguer Russie » organisé par le blog « Russie.fr ».Vous trouverez ici la présentation de l’événement pour cette première édition : « Mon premier voyage en Russie » ou « Mon premier voyage en France ».
La thématique de ce blog est actuellement la chanson russe contemporaine et ce qu’elle peut nous apprendre sur la société. Pour traiter du thème de l’évènement interblogs sans nous éloigner pour autant de la thématique du blog, j’ai choisi une chanson humoristique du doux nom de Paris. Elle ne parle pas de la France, mais au contraire de la Russie profonde et des paradoxes du pays natal. Car contrairement à l’adage « Где Хорошо, там и родина » (« Ubi bene ibi patria » ou comme disait Cicéron citant Marcus Pacuvius « Patria est ubicumque est bene ») c’est à dire « La patrie est là où l’on se sent bien », c’est exactement le contraire. La Patrie c’est là où l’on se sent pas si bien que ça. Et si c’est la Patrie ça s’améliorera jamais. C’est une forme de masochisme patriotique. Ce n’est pas un trait spécifiquement russe puisque les français sont aujourd’hui très forts dans ce que les médias reprenant les anglo-saxon nomment le « french-bashing ». On pourrait parler de « Self-French-Bashing » lorsqu’il s’agit de s’auto-dénigrer et de s’auto flageller.
Mais les russes n’emploient pas d’anglicisme pour désigner ce rapport schizophrène. Il existe une phrase célèbre dont on ne connait pas vraiment l’auteur. В России две беды – дураки и дороги – c’est à dire La Russie a deux problèmes – les imbéciles et les routes – tantôt on l’attribue à Gogol, tantôt Saltykov-Chtchedrine, deux auteurs maniant l’ironie et l’humour noir. Et parfois à Nicolas Ier à la lecture du Marquis de Custine rejetant les problèmes comme une simple question de mauvaises relations publiques, d’image marketing mal travaillée et de méchanceté des étrangers.
dans cette chanson c’est simplement de l’humour, un peu noir. Laissons là ces disputes sur l’origine de cette expression qui rythme la vie russe et intéressons nous à la chanson.
Semion Slepakov est un chanteur et humoriste de 33 ans qui passe dans l’émission phare de TNT « Comedy Club ». Il parle français et est diplômé de l’Université linguistique d’Etat de Piatigorsk. Ses chansons sont en général caustiques même si elles restent dans le cadre de ce qui est montrable à la télévision à une heure de grande écoute sur une grande chaîne nationale.
Il y a une vieille expression Russe « voir Paris et mourir », calquée sur « voir Naples et mourir ». Pour les Russes la ville de Paris est si belle que vous pouvez mourir après l’avoir vue, car rien ne pourra jamais l’égaler et vous serez perpétuellement dans une rêverie nostalgique. Ce romantisme désuet fut extrêmement populaire et l’est toujours à bien des égards (On peu citer la chanson tube d’Ala Pugactchova qui en est une bonne illustration). Ce romantisme cohabite cependant avec un pragmatisme bassement prosaïque et très brutal. Voir Paris et mourir? autant voir Vorkuta et y crever.
Dans cette chanson c’est la femme qui est romantique et son mari en apparence pragmatique. Mais les rôles pourraient très bien être inversés. Et d’ailleurs ils s’inversent au cours de la chanson. Elle veut voir Paris, lui propose de rester dans la province russe. Le choix du mari semble pragmatique, après tout Paris c’est loin et c’est cher…mieux vaut visiter la Russie. Mais en réalité ce choix de visiter la Russie n’est pas si simple à assumer. C’est souvent plus loin que Paris. Les distances russes sont immenses. Ensuite c’est souvent plus cher que Paris. Même un hôtel sans goût, un repas mal servi peuvent avoir des prix bien supérieurs à ceux rencontrés dans la capitale Française Et si les transports en URSS étaient bon marché, dans la Russie moderne ils sont inabordables pour une grande partie de la population.
De plus ce n’est pas très beau, on insiste pas trop dans la chanson car les nom ont déjà des associations fortes dans l’imaginaire des auditeurs. Enfin cela peut être dangereux, une vie humaine ayant plus de valeur à Paris qu’à Vorkuta… le chanteur qui voyage dans sa patrie prêt à y attraper toutes les maladies possibles, jusqu’à y noircir son âme. Pour visiter la Russie profonde au point de se détruire la santé et l’âme il faut être « héroïquement » patriotique au point d’en perdre le sens des réalités. Une maladie probablement encore plus grave que les douces rêveries nostalgiques sur Paris.
Visitons donc la Russie productiviste, bien qu’un peu glauque, à travers cette chanson.
Première étape Vorkouta. C’est une ville très au nord dans la république des Komis,
200 kilomètres au delà du cercle polaire, c’est une ville minière du Goulag. Aujourd’hui c’est une ville qui reste peuplée de 69 000 habitants mais dans une situation économique et humaine difficile. Il fut déjà question de fermer la ville, ou d’y conserver une activité très réduite, mais cela n’a jamais été décidé. La population qui comptait 116 000 habitants diminue régulièrement, les mines y ferment, seuls se développent les cancers et les tumeurs au rythme de +7% annuels. Malgré tout dans cette ville du très grand nord, il y a de la vie, des couleurs très vives parfois surprenantes…
Vichni-Voloch est une ville d’une cinquantaine de milliers de personnes dans le centre de la Russie, dans la région de Tver. C’est sur le chemin entre Moscou et Saint Petersbourg et son nom signifie « Haut Portage », il y a quelques usines en particulier une usine textile du doux nom de « Commune de Paris » (sur la photo ci-dessous). Le patrimoine industriel architectural a d’ailleurs été salué en 2010 puisqu’on l’a présenté à la biénale d’architecture à Venise.
Orel est une ville de 320 000 habitants à 360 km au sud ouest de Moscou. Elle est jumelée avec Reims, je ne sais pas si on y fait du champagne mais on y fait du Coca cola et de la vodka (Unsine Kristal et Coca Cola):
Velikié Louki est une ville de près de 100 000 habitants dans la région de Pskov, elle fut fondée en 1166. Aujourd’hui elle a une industrie fleurissante (agroalimentaire, électricité, céramique, engins se levage…).
Rossoch est une ville de 62 000 habitants de la région de Voronej, il y a des usines désaffectées comme l’usine de produits électriques, mais aussi des usines d’engrais ou d’agroalimentaire, la région étant riche en terres fertiles.
Lelets est une ville très ancienne de la région de Lipetsk comptant aujourd’hui 108 000 habitants. On y trouve de l’extraction calcaire, de la dentelle, de l’électricité de la construction, une sucrerie…
Tver est une ville de 400 000 habitants au nord ouest de Moscou. Elle a une grande histoire et un large patrimoine industriel et on y trouve l’usine de Wagons de chemin de fer de Tver.
Languepas est une ville pétrolière de Sibérie comptant une quarantaine de milliers d’habitants.
Viatka l’ancien nom de Kirov (renommée en 1934 du nom d’un dirigeant soviétique), il est question d’abandonner le nom soviétique mais cela n’a pas encore été décidé. La ville compte aujourd’hui 472 000 habitants.
Vladimir est une ville de l’anneau d’or, elle est ancienne puisque fondée en 990. Elle compte aujourd’hui 345 000 habitants.
Novgorod la grande est une ville très connue pour son patrimoine historique, c’est la plus ancienne citée russe, existant depuis 959. Mais aujourd’hui c’est aussi une ville de près de 220 000 habitants qui a son industrie.
Gous-Khroustalny est une ville de 60 000 habitants dans la région de Vladimir.
Vyborg ville de 78 000 habitants au nord de Saint Petersbourg
Sterlitamak est la deuxième ville de Bachkirie comptant 275 000 habitants, elle abrite une forte industrie chimique.
Вот ты мне всё время говоришь: Я так хочу увидеть Париж, Хочу хоть глазком посмотреть, Увидеть Париж и умереть. А я отвечаю тебе: Путёвка стоит тысячу у.е. И если ты так хочешь умереть, Дешевле ведь Россию посмотреть.Вот если ты увидишь Воркуту, То разразится кариес во рту, А как приедешь в Вышний Волочок – Волос немедля выпадет пучок. Вдохнешь в себя воздух Орла – Скончаешься от спазмов горла, А если вдруг пройдешь по Россоши, То смерть тебе покажется роскошью. А ты тут мне говоришь: Я так хочу увидеть Париж… Ты посмотри сначала на Тюмень, Ты поезжай сначала в Лангепас, Спрошу у бога: «Ну зачем ты так?» |
Bon tu dis tout le temps: Je veux voir Paris Je voudrais la voir au moins d’un oeil, Voir Paris et mourir. Et je te réponds: Le voyage coûte 1000 euros Et si t’as tellement envie de mourir C’est moins cher de voir la RussieTiens si tu vois Vorkouta Tes caries vont éclater dans la bouche, Et quand tu viens à Vichni-Volochok – Tes cheveux tombent aussitôt en touffes. Respire l’air d’Orel – Et tu vas succomber à des spasmes de la gorge, Et si tu passes soudainement à Rossosh Alors la mort te semblera magnifique. Et là tu me dis: Je veux tellement voir Paris … Mais regarde d’abord Tyumen Viens d’abord voir Languepas, Je vais demander à Dieu: «pourquoi donc es-tu ainsi»? |
Les autres billets des blogs participant sont ici:
http://green-russian-caucasus.blogspot.fr/2013/04/siberie-mon-amour.html
http://russie.fr/premier-voyage-russie
http://spoutnitsi.net/Voyage-avec-Ivan
http://pyatigorsk-russian-caucasus.blogspot.ru/2013/03/evenement-mon-premier-voyage-en-russie.html
Merci pour la chanson! Je connaissais déjà celle où il chantait que tous les vendredis, il était « dans la m… », à savoir ivre mort 🙂 Mais je ne savais pas qu’il parlait français ni qu’il était originaire du Caucase.
J’adore aussi sa chanson où il oublie son caleçon chez sa maîtresse! 🙂
J’ai passé une nuit à Velikié Luki: effectivement bien glauque l’hotel (chambre luxe avec frigo assourdissant), bien glauque comme boite de nuit (filles complétement ivres au « sovietskoe champagnskoe »), mais sur mon chemin…
Merci pour ce voyage « étonnant » 🙂
Arnaud
Merci Arnaud, oui en effet ses chansons sont plutôt du genre comique troupier. Tiens, je vais en traduire une autre